Le rock est-il fondamentalement de droite et conservateur
Le rock est-il fondamentalement de droite et conservateur ?
Liberté, rébellion, révolte : voilà spontanément les valeurs dont on pense qu’elles sont véhiculées par le rock. Mais ce présupposé oblige à s’interroger : quel message délivre fondamentalement le rock ? A quelle révolte appelle-t-il ?
Le rock cherche à choquer par ses outrances, sa démesure. Il est le champion des fausses révoltes et des fausses insolences. En cela le rocker est le parangon du gosse mal élevé qui met ses pieds sur la table et professe des ignominies qu’on tolère car on sait très bien que finalement, tout cela n’est pas bien méchant.
C’est dans ses formes les plus paroxistiques que le caractère intrinsèquement conservateur du rock apparaît de manière criante, bien qu’il soit présent dans tout le mouvement rock. Ainsi sous ses formes exacerbées (que sont le hard rock, le metal, etc. - on retrouve toujours cette nécessité de l’industrie du rock de catégoriser afin de donner l’illusion de produire du « nouveau ») sont mises à jour - dans l’exagération - les caractères intrinsèques du rock : conservatisme, sexisme, haine ou mépris des minorités et finalement et surtout conformisme et conservatisme. Paradoxalement, derrière le rideau de fumée de l’agitation médiatique – où la provocation n’est plus que posture afin de différencier chaque produit – s’ouvre le grand vide de la pensée car ces provocations gratuites, ne sous-tendent rien, n’appellent à rien. Le spectaculaire appelle le spectaculaire qui lui répond dans un écho rassurant.
Pour le pouvoir établi, le rock est finalement sécurisant. L’adolescent qui écoute aujourd’hui Rammstein ou Marilyn Manson joue à se faire peur, à s’encanailler, il se construit une personnalité contre les adultes qui réprouvent le caractère morbide des paroles ou l’imagerie glauque employée. Mais en réalité la société joue le jeu – laissant croire aux ados qu’elle réprouve ce type de groupe et de musique – mais elle bénie chaque jour ces artistes sans message, sans révolte, véhiculant un nihilisme inepte qui permet à la société bourgeoise de dormir sur ses deux oreilles. Il ne faut pas être dupe, si le rock exprimait réellement la révolte et incitait à la révolution, il y a bien longtemps que les Pouvoirs publics se seraient penchés sur le problème. Au lieu de cela, le rock nous livre de fausses révoltes savamment orchestrées, où le rejet en masse du système tient lieu de seule et unique pensée et laisse un boulevard ouvert à l’ordre établi. Alcools, joints, et oubli du reste…
Le rock contribue davantage à la dépolitisation des masses qu’à la prise de conscience et à la réappropriation du pouvoir d’agir. L’agitation médiatique qu’il implique, l’instauration de la figure même du rebelle et sa posture anti-société, anti-politique conduit la jeunesse à se détourner de la chose publique.
Le rock permet ainsi de canaliser l’énergie débordante de cette jeunesse au travers de deux ou trois figures charismatiques. Marionnettes fantoches tolérées par le pouvoir, elles ne sont que des « marchandises » générées par la société du spectacle, aussi inoffensives qu’un poster de Che Guevara accroché au mur de sa chambre.
De temps à autre, le pouvoir lance une croisade contre le rock afin de maintenir le mythe d’une musique dérangeante. Ce geste prend parfois la marque d’un autocollant « Parental advisory » collé sur le disque comme aux USA, sorte de label inversé de bonne contestation. Ou bien encore on accuse le rock, périodiquement, de satanisme, de corrompre la jeunesse, de l’inciter à la violence… On lui intente un procès pour incitation au meurtre ou au suicide. Rien de bien méchant d’autant plus que personne n’est dupe. Le tout est encore plus risible dans les sociétés non anglo-saxonnes où les paroles ne sont généralement pas comprises.
Le rock ne contient désormais que peu, pas ou prou d’incitations à la révolte et à la révolution. Même le rap, pourtant porteur initialement d’un message social critique, ne va guère loin dans la dénonciation politique. Nulle incitation à un changement de société, aucune volonté d’en contester les soubassements idéologiques. Le simple fait d’inciter à « tirer sur des camions blindés » ou sur des flics tient lieu de pensée politique et démontre en soi l’inanité de ce mouvement que le marché a eu tôt fait de rattraper par la manche et de canaliser quand il lui échappait.
Le rock – d’ailleurs bien plus que le rap, le reggae ou une certaine forme de chanson – est une musique qui derrière le ronflement des amplis ne dit rien et ne parle à personne et pour personne. Elle est la victoire du nihilisme et du repli sur soi.
L’histoire des fausses révoltes du rock est l’histoire d’un éternel recommencement, d’un patchwork où viennent s’agréger les mêmes ingrédients (le sexe, la drogue, le rock’n’roll). Lorsque l’on embrasse du regard l’histoire du rock, chaque période en rappelle une autre et donne finalement l’impression de tourner en rond. Ainsi la vague punk retombée – sans d’ailleurs qu’aucun message politique clairement affirmé en soit sorti, hormis le caricatural « No future » - il n’a fallu attendre que dix ans pour que le Grunge prenne la relève en affirmant un nihilisme confondant et conformiste. De même, les reproches de sympathie pour le nazisme adressés aujourd’hui à Rammstein, rappellent les reproches déjà fait en son temps à Motorhead et qui ne sont fondés pour aucun des deux groupes. Cet exemple illustre la bêtise incommensurable dont font preuve ces formations qui jouent – d’ailleurs sans se renouveler – avec l’imagerie nazie sans véritablement en mesurer les conséquences. Tout est bon pour choquer mais la provocation gratuite est vaine si elle n’est animée d’aucun message, d’aucune intention… d’autant plus lorsque cette provocation s’adresse à une jeunesse manquant cruellement de repères historiques et politiques. C’est tout au plus choquant, mais surtout confondant de bêtise et d’absurdité.
Voilà pourquoi les pouvoirs en place sous l’apparence d’exprimer les plus fermes réserves à l’encontre du rock, lui sont redevables d’une certaine forme de paix sociale en se faisant le réceptacle de tous les désirs et frustrations. En vendant du rêve à tempérament dans des débauches d’artifices titanesques, le rock permet de détourner le public des préoccupations essentielles. Car ce ne sont plus les manifestations politiques qui drainent la jeunesse actuelle mais les concerts de plus en plus gigantesques de rock. Voilà de quoi rassurer le système car le concert de rock présente l’avantage de générer des bénéfices et surtout de ne pas mettre des idées dangereuses dans la tête des gens. Sous l’apparence trompeuse d’être un véhicule de contestation des valeurs de la société, le rock contribue tout au contraire à renforcer ces valeurs en les légitimant : l’argent rapide, la célébrité et ses hochets sont louées et vénérées. Le tout pourrait être résumé en une phrase : ABBA et AC/DC même combat !
L’instance de légitimation devient désormais le critère de vente : il faut donc que le produit soit suffisamment identifiable mais que son « originalité » ne le coupe pas du public. Le matraquage et l’attachement doit être exceptionnellement rapide et efficace. L’argent n’est plus honteux mais un facteur de distinction où la réussite commerciale et artistique s’amalgame. L’argent et les facilités qu’il procure sont revendiqués, affirmés et partie intégrante de la culture rock.
La véritable provocation serait de court-circuiter le « système » du show-business c’est-à-dire de s’attaquer aux fondements même de l’économie de marché. Supprimer les intermédiaires entre le client et l’artiste, insérer une certaine forme de gratuité, de proximité… voilà qui serait autrement plus provocateur. Voilà qui serait purement et simplement révolutionnaire ! Mais quels sont ceux qui s’y risquent ?